L'opposabilité par la caution de l'extinction de la créance irrégulièrement déclarée
Com., 22 janvier 2020, n° 18-19.526, Publié au bulletin
Le créancier bénéficiant d’un engagement de caution a tout intérêt à faire preuve d’une vigilance particulière lorsqu’il procède à la déclaration de sa créance au passif de la procédure collective du débiteur principal.
A défaut, il risque de voir disparaître toute chance de recouvrer le montant de sa créance, tant auprès de son débiteur originaire que du tiers qui s’est porté caution.
Par un arrêt en date du 22 janvier 2020, la Cour de cassation a en effet jugé que la caution condamnée à honorer son engagement peut, pour s’en libérer, exciper de l’extinction de la créance principale résultant de son rejet par le Juge-commissaire désigné dans la procédure de liquidation judiciaire du débiteur principal.
Il faut, pour bien comprendre la solution ainsi retenue, décomposer le raisonnement suivi par les magistrats de la chambre commerciale.
- Premier temps du raisonnement : l’extinction de la créance irrégulièrement déclarée
La première étape du raisonnement tient à la sanction attachée à l’irrégularité d’une déclaration de créance.
Si le défaut de déclaration d’une créance au passif d’un débiteur en procédure collective entraînait auparavant son extinction, tel n’est plus le cas depuis que la loi du 26 juillet 2005, dite de sauvegarde des entreprises, a assoupli le dispositif en substituant à l’ancienne extinction de la créance sa simple inopposabilité à la procédure (C. com. art. L. 622-26).
Il va de soi que cette sanction est applicable au créancier négligent qui s’abstient purement et simplement de déclarer sa créance dans le délai imparti.
Qu’en est-il du créancier qui prend le soin de déclarer sa créance entre les mains du Mandataire judiciaire, mais dont la déclaration est jugée irrégulière et, par suite, rejetée par le Juge-commissaire ?
On aurait pu imaginer que la sanction dans cette hypothèse soit la même que celle du défaut de déclaration, c’est à dire l’inopposabilité de la créance à la procédure.
En effet, la formulation légale selon laquelle « Les créances non déclarées régulièrement dans [l]es délais sont inopposables au débiteur » permet a priori d’inclure dans le giron de l’inopposabilité tant les créances non déclarées que les créances mal déclarées (C. com. art. L. 622-26).
Telle n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation, qui énonce à l’occasion de l’arrêt ici commenté que « la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu'une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est une décision de rejet de la créance, qui entraîne, par voie de conséquence, son extinction ».
Cette rémanence de l’extinction de la créance, en faveur de laquelle s’était déjà prononcée la Haute Cour (v. Com. 4 mai 2017, n° 15-24.854, Publié au bulletin ; Com., 17 mai 2017, n° 15-25.802), a été fermement critiquée par la doctrine (v. JCP E 2020. 1204 n° 14 ; Rev. sociétés 2020 p.193 ; Recueil Dalloz 2020 p.855 ; APC n° 3, fév. 2020. 39).
Si cette première partie du raisonnement peut être contestée, la conséquence qui en est tirée quant à l’engagement de la caution procède en revanche d’une stricte application du régime du cautionnement.
- Second temps du raisonnement : l’opposabilité par la caution de l’extinction de la créance
Dans les faits de l’espèce, le créancier, en parallèle de sa déclaration de créance au passif du débiteur principal, avait agi en paiement à l’encontre de la caution et obtenu la condamnation de celle-ci à exécuter son engagement.
Ce n’est que postérieurement à cette condamnation que le Juge-commissaire a rejeté la déclaration de créance comme étant irrégulière.
La caution s’est alors saisie de cette difficulté et a invoqué l’extinction de la dette principale pour s’opposer aux mesures de recouvrement mises en œuvre par le créancier.
La juridiction d’appel a rejeté cet argumentaire, au motif que l'irrecevabilité de la déclaration de créance, qui n'entraîne plus l'extinction de la créance, laisse subsister l'obligation de la caution, de sorte que l'arrêt de condamnation devenu irrévocable ne peut plus être remis en cause.
La Cour de cassation censure l’analyse, et retient quant à elle que « la décision de condamnation de la caution à exécuter son engagement, serait-elle passée en force de chose jugée, ne fait pas obstacle à ce que la caution puisse opposer l'extinction de la créance garantie pour une cause postérieure à cette décision ».
Il s’agit là d’une illustration du caractère accessoire du cautionnement, sûreté personnelle dont l’objet est de garantir l’exécution d’une obligation principale, sans laquelle le cautionnement n’a pas de raison d’être.
Conformément à l’adage selon lequel l’accessoire suit le principal, le cautionnement est dépourvu de toute autonomie par rapport au lien d’obligation dont il dépend.
C’est dans cette logique que l’article 2313 du Code civil accorde à la caution la faculté d’opposer au créancier toutes les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité du contrat principal (Civ. 3e, 11 mai 2005, n° 03-17.682, Publié au bulletin) ou l’extinction de la créance garantie (Com., 5 déc. 1995, n° 94-14.793, Publié au bulletin).
Par cette décision du 22 janvier 2020, la chambre commerciale applique ce principe à l’hypothèse d’une extinction de la créance irrégulièrement déclarée au passif du débiteur principal.
Une telle extinction (contestable) entraîne la disparition du lien d’obligation principal, et, par suite, la libération de la caution dont l’engagement est devenu sans objet.
La circonstance que la caution ait été antérieurement condamnée par une décision de justice devenue irrévocable est indifférente (v. déjà en ce sens : Com., 5 déc. 1995, n° 94-14.793, Publié au bulletin).
C’est au regard de cette conséquence, heureuse pour la caution mais rude pour le créancier, que la nature de la sanction attachée à l’irrégularité de la déclaration de créance prend toute son importance.
En effet, il semble que la solution aurait été différente si la Cour avait préféré à l’extinction de la créance sa simple inopposabilité à la procédure collective, si l’on se fie à un arrêt en date du 12 juillet 2011 à l’occasion duquel la chambre commerciale a jugé que l’inopposabilité à la procédure d’une créance non déclarée dans le délai imparti ne constitue pas une exception inhérente à la dette susceptible d'être opposée par la caution pour se soustraire à son engagement (Com., 12 juill. 2011, n° 09-71.113, Publié au bulletin).
Il apparaît ainsi que le sort réservé au créancier qui ne déclare pas est plus favorable que celui subi par le créancier qui déclare mal.
En définitive, comme cela a été habilement résumé (APC n° 3, fév. 2020. 39), « mieux vaut donc être négligent que d'être maladroit ! »
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